Témoignages

Aurélie Tinland (Équipe MARSS)

18 juillet 2018

Aurélie Tinland, psychiatre et chercheuse au sein de l'Équipe MARSS, nous parle de R&D sociale, de ses enjeux, ses résultats et de son intérêt général.

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Pouvez-vous nous présenter votre structure en quelques mots (objet, historique, activités, …) ?

L’équipe MARSS est une équipe mobile psychiatrie précarité créée en 2005.

L’action de l’équipe s’adresse aux personnes sans abri atteintes de troubles psychiatriques sévères.

Les activités de l’équipe sont « d’aller vers » les personnes, directement sur leur lieu de vie, de s’appuyer sur leurs forces et le réseau de soutien de la cité (y compris les dispositifs d’aide) pour les accompagner vers le rétablissement, et vers leurs droits, en particulier le logement.

 

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Une partie des activités de l’équipe vise à mobiliser, à développer des actions de plaidoyer, parmi lesquelles des activités de recherche impliquant des personnes directement concernées.

Dans quel contexte et pourquoi une démarche de recherche et développement sociale a été mise en place ?

La recherche et l’innovation sont inhérentes aux hôpitaux universitaires.

L’équipe a depuis sa création une dimension expérimentale et pionnière : c’est la première équipe ayant recruté des médiateurs de santé en France, à parler de rétablissement, ou encore à ouvrir un squat thérapeutique : le Marabout.

J’ai appris au CEReSS les bonnes pratiques méthodologiques et de recherche, que nous avons appliquées à la question du logement d’abord accompagné, ou housing first, faisant de l’évaluation de cette innovation l’un des premiers essai randomisé « social » (même s’il était aussi biomédical puisque les critères d’inclusion étaient cliniques). La conduite rigoureuse de l’essai a permis de fournir un haut niveau de preuve de l’efficacité dans l’accès au logement de l’innovation, pour un public auparavant considéré comme difficilement capable d’habiter directement un logement personnel. L’évaluation médico-économique associée a eu un impact important, elle a permis de montrer l’efficience de ce type de programme, et a contribué à son inscription dans les politiques publiques française après l’expérimentation (Un Chez-Soi d’Abord sera déployé dans 20 villes au total).

Allier des innovations sociales avec des méthodologies d’évaluation rigoureuses nous apparaît comme un excellent levier de transformation sociale, et nous avons développé dans ce sens des recherches sur mesure autour de plusieurs actions dans le champ de la santé mentale. Cela permet (selon le mantra de Marseille Solutions) de commencer petit (principe de l’expérimentation), d’aller vite (temps de l’expérimentation), et de voir grand (analyser les conditions d’essaimage, documenter la transférabilité des projets).

Nous avons travaillé avec des associations pour développer ces projets (solidarité réhabilitation ou médecins du monde) du fait de l’impossibilité pour l’APHM de les porter à cause de lourdes difficultés financières, avec un contrat de retour à l’équilibre budgétaire imposant l’austérité. Du fait de cette incapacité subie à porter des projets innovants « agiles », avec de petites sommes d’argent au regard d’un budget comme celui de l’APHM, des professionnels « hors cadre » (comme les régisseurs sociaux) et certaines actions qui dépassent le cadre du sanitaire, nous avons créé en parallèle une association : JUST, dont le ressort est la recherche action participative, avec une participation maximale des personnes directement concernées.

Grâce au projet CoFoR, nous avons développé des liens avec l’IRTS (Institut Régional du Travail Social) PACA, qui a souhaité amplifier la démarche « recherche action participative », en créant le SociaLab autour des innovations numériques. Une convention a été signée dans ce sens entre l’IRTS et l’Université, auprès de 4 laboratoires de recherche, dont le CEReSS

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Comment se concrétise cette démarche (partenariats avec des universités, doctorant, recherche réalisée en interne par l’ensemble de l’équipe ou une personne distincte, etc.) ?

Plusieurs membres de l’équipe MARSS sont liés au labo de l’AMU. L’APHM est toujours promoteur des recherches que je mène.

La configuration varie selon les projets et les personnes qui les portent. Les chercheurs sont recrutés en fonction des projets, il y a beaucoup d’adaptabilité.

Quels sont les principaux freins que vous avez rencontré dans cette démarche (temporalité de la recherche, trouver les contacts, etc.) ?

Chercher d’une part des financements pour des actions, et d’autre part des financements pour la recherche au travers d’appels à projet différents à la visée et à la temporalité différente, et à l’issue incertaine complique la synchronisation nécessaire entre action et recherche. Ces réponses à APP sont très chronophages.

De plus, les budgets sont souvent revus à la baisse par les financeurs, rendant les actions innovantes bien plus fatigantes (chacun doit donner plus dans l’intérêt du projet, la compensation se fait par la participation de bénévoles, ainsi que des horaires à rallonge faute de pouvoir recruter quelqu’un). Par contre, les financeurs souhaitent que l’ambition initiale soit préservée. Pour des sommes parfois vraiment faibles (ex : faire un essai randomisé contrôlé pour 10 000 euros).

Ce qui entraîne la recherche de financements complémentaires auprès de plusieurs financeurs qui ont chacun un intérêt spécifique, un mode de contrôle spécifique, des doléances ; casse tête supplémentaire pour détourner le projet dans la direction souhaitée par le financeur sans dénaturer le projet; sans compter la gestion des rapports à rendre pour les actions.

Les financeurs évaluent mal le coût d’une recherche de qualité : la recherche, c’est cher. Quand elle n’est pas de bonne qualité (par manque de temps, d’argent ou de compétences), elle n’est soit qu’un audit ou un contrôle de paramètres (évaluation vécue comme coercitive) ; soit une simple validation peu réflexive (qui a peu intérêt). Les Canadiens pensent qu’un quart du coût de l’action doit être dévolue à son évaluation.

En quoi cette démarche de R&D sociale participe-t-elle au développement du projet ?

Elle permet de produire de la connaissance objective sur le projet. Elle garantit un retour réflexif sur ce qui se passe. Elle améliore donc l’action. 

Selon vous, de manière générale, en quoi la R&D sociale peut-elle contribuer aux projets d’innovation sociale ?

Elle permet de mesurer le plus objectivement possible l’impact des projets, d’animer un questionnement sur leur efficacité et leur acceptabilité, sur ce qu’ils transforment et comment, et enfin de faire valoir leur utilité sociale. La recherche permet parfois d’améliorer des actions si des axes sont identifiés, voire de conclure à un arrêt nécessaire. Dans le cas inverse d’une extension, les possibilités de généralisations, les freins et facilitateurs font aussi partie des questions de recherche.

 

Aurélie TINLAND

Psychiatre et chercheuse au sein de l'Équipe MARSS

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