Témoignages

Antoine Rieu (SocialCOBizz)

18 juillet 2018

Antoine Rieu, manager R&D chez SocialCOBizz, nous parle de la démarche de R&D sociale de sa structure, de ses enjeux, ses résultats et de son intérêt pour les entreprises en général.

Pouvez-vous nous présenter votre structure en quelques mots (objet, historique, activité, ...) ?

L'association SocialCOBizz est une plateforme dédiée à la capitalisation et au développement du modèle de partenariat sous forme de joint-venture sociale (ou co-entreprise sociale).

SocialCOBizz a été créée en 2016 par les groupes d'insertion Ares et Vitamine T, la société d'investissement et d'accompagnement social Investir &+ et le collectif d'entrepreneurs Yoobaky Ventures.

Cette création est partie du constat partagé que les partenariats sous forme de joint-venture sociale sont capables de répondre à un ensemble d'enjeux rencontrés par les organisations de l'économie sociale et solidaire et les entreprises privées, selon certaines conditions.

Pour les fondateurs de SocialCOBizz, au moins deux enjeux peuvent être abordés par la JVS :

  • le besoin des organisations de l'économie sociale et solidaire de développer leur impact, ce qui implique de développer de nouveaux modèles socioéconomiques et d'accéder à des ressources (socioéconomiques, compétences, réseaux,etc.) auxquelles elles n'ont pas facilement accès ;
  • l'impératif pour les entreprises privées de devenir plus inclusives, ce qui implique d'innover malgré des procédés internes souvent freinant et un manque de savoir-faire social évident.

Dans quel contexte et pourquoi une démarche de recherche et développement sociale a été mise en place ?

Le rôle que se donne SocialCOBizz est d'étudier le modèle de JVS, de capitaliser sur les expériences menées pour identifier les conditions suivant lesquelles ce modèle est capable de contribuer, à sa mesure, aux enjeux qui motivent sa création. En parallèle, l'action de SocialCOBizz prend son sens dans la diffusion et l'accompagnement de porteurs de projets intéressés par ce modèle.

La démarche de R&D sociale est donc essentielle pour prendre la mesure des expériences existantes, en saisir la portée, comprendre les dynamiques dans lesquelles les JVS s'inscrivent. Un tel travail ne peut se réaliser que dans un temps long, selon des méthodes précises (ici, entretiens semi-directifs, analyses de textes, statistiques, etc.) d'où l'intérêt de la démarche de R&D.

Comment se concrétise cette démarche (partenariats avec des universités, doctorant, recherche réalisée en interne par l'ensemble de l'équipe ou une personne distincte, etc.)

En tant que doctorant-manager R&D en contrat CIFRE, je m'occupe de concrétiser la démarche de R&D sociale. Concrètement, je suis inscrit en thèse à l’Université Paris Diderot (CESSMA) et je suis chercheur associé du programme de recherche CODEV de l’ESSEC Business School.

Quels sont les principaux freins que vous avez rencontré dans cette démarche (temporalité de la recherche, trouver les contacts, etc.) ?

Un premier frein a été lié au process de validation du dossier CIFRE. D’abord, plusieurs mois se sont écoulés avant qu’un expert anonyme ne soit identifié. Ensuite, l’évaluation du projet de recherche par l’expertise anonyme a dans un premier temps demandé à ce qu'un ensemble de précisions soient apportées avant d'être positive et que le dossier ne soit validé. La démarche aura duré au total 9 mois à partir du dépôt du dossier.

Ce premier frein est probablement lié en partie à trois causes :

  • le caractère résolument interdisciplinaire que revêt la recherche proposée. Avec le soutien de mes deux directrices de recherches, j'ai opté pour une approche croisant socioéconomie, sociologie économique et gestion, dans la lignée d’un ensemble de travaux de recherche déjà existant, ce qui malgré tout demeure peu commun.
  • En outre, l’ambition théorique a été mal comprise –probablement également pas assez bien formulée initialement.
  • L’ensemble de l’approche, pourtant typique d’une recherche prenant pour objet une fraction de l’économie sociale et solidaire, est très minoritaire dans le monde plus global de la recherche surtout en économie, ce qui peut freiner le développement de certaines recherches.

Un second frein est lié au financement global de la recherche : dans l’économie sociale et solidaire, les structures sont en tension perpétuelle pour être à l’équilibre malgré des modèles socioéconomiques hybrides. Même si le contrat CIFRE permet d’être éligible à des subventions et crédits d’impôts, il reste néanmoins une part à financer qui est non négligeable pour une association.

Un troisième frein est lié au fait que c’est la première fois que la structure fait appel à un doctorant. Plusieurs mois ont été nécessaires au démarrage pour comprendre les attentes de chacun, et un effort permanent doit être effectué pour s’aligner.

 

En quoi cette démarche de R&D sociale participe-t-elle au développement du projet ?

L’activité de SocialCOBizz comporte trois facettes :

  • Recherche & Développement en continu
  • Mise à disposition, en ligne gratuitement et pour chacun.e, d’un ensemble d’outils dont un pack méthodologique portant sur les joint-ventures sociales (JVS)
  • La diffusion du modèle et l’accompagnement des porteurs de projet.

Effectuée en continu, la démarche de R&D nourrit le pack méthodologique dédié aux JVS et fait l’objet de débats réguliers avec les co-fondateurs de SocialCOBizz et leurs équipes. De ce fait, la connaissance pratique s’enrichit périodiquement, participant activement du développement du projet de SocialCOBizz.

En outre, un dispositif de recherche-action va être formalisé avec la nouvelle direction de SocialCOBizz, direction qui prendra en charge le développement de l’offre d’accompagnement proposé par l’association, ce qui est sécurisant pour les structures et personnes accompagnées.

Enfin, j'interviens régulièrement à des tables rondes, conférences ou réunions, en interne comme en externe, sur un ensemble de sujets liés aux JVS.

 

Selon vous, de manière générale, en quoi la R&D sociale peut-elle contribuer aux projets d’innovation sociale ?

Toute innovation, a fortiori de rupture, est vulnérable, peu comprise. Parfois, elle est mise en place sans R&D, parfois elle en est le résultat.

Dans le premier cas, la recherche est là pour aider à comprendre ce qui se joue dans l’innovation engendrée et mieux en maitriser les tenants et aboutissants.

Dans le second cas, la recherche intervient pour identifier des axes nouveaux de travail pour apporter de nouvelles réponses (ou de nouvelles questions) à des besoins déjà identifiés ou non ; la phase de développement permet alors d’agir d’une double façon, en étant à la fois le premier pas vers la mise en action et en étant aussi une étape avant un retour, dans une logique itérative, vers la recherche, en vue de l’amélioration de l’innovation.

Dans les deux cas, la R&D permet de réduire le risque lié à la vulnérabilité de l’innovation sociale. Elle permet, in fine, d’augmenter les connaissances disponibles, aussi bien pour la recherche que pour les acteurs, et est alors un des piliers du développement et du progrès.

Même si les chercheurs ou acteurs de la R&D sont appelés depuis quelques décennies à travailler avec les acteurs socioéconomiques et citoyens qui mettent en œuvre des innovations sociales (recherche-action, recherche-intervention, consultances, expertises ponctuelles, etc.), ce sont encore des mondes qui ont semble-t-il encore trop peu l’habitude de travailler ensemble et qui gagneraient à le faire de manière plus systématique.

 

Antoine Rieu

Manager R&D chez SocialCOBizz

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